Cet énorme roman graphique de quasiment 600 pages démarre dans un bar, avec deux gars se vantant de leurs exploits sexuels et qui se chambrent sur leur misère affective respective. Si leurs anecdotes sont potaches, Glen a également une histoire plus étrange à partager. Un soir, son véhicule crève sous la pluie au beau milieu de nul part et il trouve alors refuge chez un couple, qui l’héberge le temps d’une nuit. Après une longue et bizarre discussion avec ses hôtes, il se demande où il a débarqué. Arthur, le mari, lui avoue souffrir d’une longue et pénible dépression. Et surtout au fil de la soirée, il invite et insiste pour que Glen couche avec son épouse ; Cindy, qu’il délaisse depuis des années, du fait de son état de santé.
Manipulations et paranoïa
Art arrive à persuader Glen… Et ce qui devait arriver, arrive. Glen rejoint Cindy dans la cambre à coucher. Le lendemain, Glen se précipite pour quitter les lieux, en entendant une discussion colérique entre Art et Cindy. Plusieurs mois passent, lorsque Arthur débarque au domicile de Glen. Et c’est le début d’une singulière et dérangeante mésaventure.
Ultrasons est un très étrange récit, à la fois captivant et perturbant. Captivant, car ce démarrage (un peu glauque) n’est que l’arbre qui cache une forêt bien plus sombre et lugubre. Le lecteur glisse petit à petit vers une toute autre histoire, sans percevoir où l’auteur le mène. Perturbant, car la narration fragmentée distille en permanence le doute sur les faits et les perceptions de chacun. On pourrait comparer cette BD au Mullholland Drive de David Lynch ou aux films de David Cronenberg pour l’ambiance malaisante et ultra-inquiétante. Mais je fais également le lien avec les bandes dessinées de Matt Kindt, telle que Mind MGMT, pour les jeux de faux-semblant et les manipulations qui font douter de ce que l’on perçoit à chaque instant.
Car dans Ultrasons, il n’est que question d’aliénation et de conditonnement forcé, d’emprise psychologique, de sujétion mentale, d’influence et d’asservissement téléguidé. Les personnages sont manipulés par d’autres, et sont parfois réduits à n’être que de simples pantins, car quelqu’un semble les plonger dans des simulacres et leur dicter les actes à mener, et bien souvent à leur dépens. C’est glaçant et terrifiant à la fois.
Conor Stechschulte aura mis près de dix ans à écrire et dessiner ce roman graphique impressionnant. Initialement imprimé en risographie, puis publié chez l’éditeur américain Fantagraphics, Ultrasons alterne les variations graphiques, les choix de couleurs et les surimpressions, renforçant l’opacité des perceptions et semant le trouble dans le discernement. Cette BD est une proposition fort intrigante et originale en terme de narration, de propos et de traitement graphique.
Références
Ultrasons – Conor Stechschulte
publié par Cambourakis