Voici la nouvelle revue de lectures de bandes dessinées, lues au cours de ce mois de juillet 2025.

Chantal Montellier m’aura accompagné tout au long du mois de juillet. D’abord, parce que je me suis enfin plongé dans la lecture de Social Fiction (Les Humanoïdes Associés), gros recueil de quasiment 200 pages, rassemblant 1996 Again, Wonder City et Shelter market. Et parce qu’au hasard de visites dans des librairies ou de balades, mon regard tombait, systématiquement et à de multiples reprises, sur de titres de l’autrice tel que Sorcières, mes sœurs, disponible à l’exposition Sorcières : fantasmes, savoirs, liberté à Pontaven, ou encore d’anciens exemplaires publiés chez A Suivre.
Partout où j’allais, elle me poursuivait, elle m’observait, me surveillait, Chantal Montellier is watching you ! Ce qui est correspond bien aux univers dystopies dépeints dans Social Fiction. Depuis 1978, date de sortie de sa première BD, elle illustre et perçoit les symptômes autoritaires et libéraux de notre société. Dans Wonder City, elle décrit une ville sous surveillance généralisée à la Orwell où l’on pratique un eugénisme décomplexé et bien dégueulasse à la Huxley. Dans Shelter market, l’influence vient plus de JG Ballard : un groupe de consommateurs se retrouvent bloqués dans un grand magasin et doit vivre enfermé et en autarcie. Le directeur de l’enseigne prend les choses en main et leur indique quel choix de société ils doivent adopter (spoiler : ça sera une dictature).
Assurément politique, Chantal Montellier est aussi féministe et co-fonde en 2007 le prix Artémisia, qui récompense chaque année, au début du mois de janvier, une bande dessinée réalisée par une ou plusieurs femmes.

Sacha Goerg est un auteur de bande dessinées d’origine suisse, vivant dorénavant en Belgique. Il cofonde les éditions de l’Employé du Moi, qui fête ses 25 ans d’existence. J’ai profité du mois de juillet pour lire trois BD qu’il a créé ces derniers années : Boutures (l’Employé du Moi), La fille de l’eau (Dargaud), Archipel (Gallimard), dans lesquels l’élément aquatique traverse les trois récits.
Publié en 2003, Boutures raconte une rupture amoureuse, au bord de la mer du Nord ; rupture tellement tumultueuse qu’elle provoquera, par débordement, un accident mortel… Dans une sorte de déferlante de lavis crayeux, Sacha Goerg apporte une touche de fantastique à ce récit de 60 pages, dans des cases resserrées.

La fille de l’eau – bande dessinée éditée en 2012 par Dargaud, et prépubliée sur le site GrandPapier – est un one-shot explorant, dans une autre veine dramatique, un récit de secrets familiaux. Une jeune fille (déguisée en homme) débarque en pédalo au pied d’une villa gigantesque, au design fantasque, appartenant à un artiste décédé depuis peu. La jeune fille se faufile dans la famille, navigue en eaux troubles et poursuit une mystérieuse et personnelle enquête.
Avec La fille de l’eau, Sacha Goerg efface les cases, éclaircit son trait et inonde ses planches de lavis de couleurs pêchues. En 180 pages, il livre un récit énigmatique, d’une vivacité folle avec des dialogues truculents.

Enfin, L’archipel (2024) est une dystopie futuriste, une histoire d’anticipation où la montée des eaux et la pluie incessante représentent un danger de plus pour l’humanité. Tim mène un vie oisive, ultra-confortable et superficielle dans des quartiers luxueux et hightech. Pour s’occuper, il flâne dans le métaverse (simulant une version désastreuse de l’état du monde dans vingt ans) et rencontre Chloé, une jeune fille rebelle qui vit sur une île précaire composée de containers flottants. Cette rencontre va bousculer toutes ses certitudes et il ne pensera plus qu’à la retrouver…
L’archipel partage des éléments de questionnement communs avec Inlandsis Inlandsis de Benjamin Adam et interroge sur les conséquences des changements climatiques dans une société divisée, hyper-connectée et néo-fascistante. Le tout est dynamique, le trait de Sacha Goerg est moins rond que dans La fille de l’eau, car plus direct et épuré, avec un recours aux couleurs saturées et flashy, pour exprimer une urgence et un affolement.

L’Employé du Moi est une maison d’édition basée à Bruxelles. « Il ne faudrait pas restreindre la ligne éditoriale de la structure à une veine autobiographique, comme pourrait le laisser supposer son nom », indique Frédéric Hojlo dans Second Souffle – bandes dessinées alternatives 2000-2020 (éditions FLBLB). L’Employé du Moi fête donc son quart de siècle et offre généreusement, pour cette belle occasion, plusieurs titres en version numérique, depuis leur site web, afin de découvrir leur catalogue riche et diversifié. L’un d’eux, Sweet 15 est une anthologie sortie il y a tout juste 10 ans déjà. Cette anthologie rassemble plus de 180 pages de récits courts, en noir et blanc d’autofiction, de fiction, de fantastique, émouvants et/ou drôles notamment de Max de Radigués (autre membre fondateur de l’éditeur, avec Sacha Goerg), Émilie Plateau, les nordistes Bastien Guignon et Rémi Lucas, Aseyn et Anis El Hamouri, Gilles Rochier et Anne Simon, Pierre Maurel et Jean Bouguignon

Warm Fusion est une série de comic-books – au grand format – en trois parties, publiée par DSTLRY, écrite par Scott Hoffman (musicien pour le groupe Scissor Sisters) et dessinée par l’italien Alberto Ponticelli. Avec des références assumées à Blade Runner, à Videodrome et à The Thing, cette mini-série revêt une légère proximité avec One hand, Six fingers (Image Comics). Malheureusement, après un premier numéro posant les bases du récit et une ambiance cyberpunk poisseuse, la série se révèle boursouflée et sombre très vite dans les poncifs d’un scénario de série B. L’absence d’un rôle éditorial fort est parfois un souci au sein de quelques publications de l’éditeur DSTLRY. Certains titres partent un peu en roue libre et manque de guidance, et j’avais déjà fait ce constat à la lecture de Big Burn de Joe Henderson et Lee Garbett.