Repéré à la suite de la publication de Zenith, Grant Morrison rencontre Karen Berger en 1987, à Londres. Le tout jeune scénariste lui propose alors deux pitchs de comics. Soit une histoire ésotérique de quarante-huit pages ayant pour fond l’asile d’Arkham ainsi qu’une proposition d’une mini-série en quatre parties, prétexte pour déconstruire et s’amuser avec un personnage de DC Comics tombé dans les oubliettes : Animal Man. Pas de chance ! La mini-série marche bien, très bien même, et l’éditeur confie à Grant Morrison le soin de poursuivre le titre en série mensuelle.

Le règne animal (Man)

Grant Morrison doit alors immédiatement se renouveler et entame à la fois un travail de sape, de laboratoire et d’exploration. Il fait un pas de côté dès le numéro 5, annonce la couleur à partir de la première case (“this is where it start / c’est là que tout commence“) comme pour signaler que les premiers numéros n’étaient qu’un tour de chauffe. Grant Morrison franchit le quatrième mur avec le mythique épisode intitulé The coyote gospel. Alors que le personnage principal de Buddy Baker incarne un super héros has-been, franchement ringard avec son costume orange et bleu, affublé d’une gigantesque lettre A sur le torse, la série prend alors un tour tout à fait différent. D’épisode en épisode, le lecteur entre directement dans le méta-récit, la parodie, l’ironie, le post-modernisme, les hallucinations, le psychédélisme. Avec Animal Man, Grant Morrison pose les bases de ce qu’il écrira puissance 1000 dans Doom Patrol.

Mais qui est donc cet Animal Man ? A la suite d’une rencontre avec un vaisseau extraterrestre, Buddy Baker est devenu Animal Man, un super héros qui peut absorber les pouvoirs des animaux qui se trouvent à sa proximité. Il peut ainsi voler tel un oiseau, nager dans l’eau comme un poisson, acquérir en un instant la force d’un dinosaure, se régénérer comme un ver de terre, se dupliquer rapidement comme le ferait une bactérie. Buddy Baker peut ainsi décupler ses capacités ou en développer de nouvelles, au contact de la faune qu’elle soit macro ou microscopique. Il deviendra alors un représentant de la cause animale.

En étoffant son propos écologiste sur plusieurs épisodes, Grant Morrison se révèle-t-il être un hippie refoulé en défaussant ainsi son image de véritable punk ? Evidemment, non, et je m’explique. Les auteurs anglais ayant traversé l’Atlantique dans le sillon d’Alan Moore, ont développé un propos environnementaliste à de multiples reprises dans les séries qu’ils se sont appropriés. Avec Swamp Thing, Alan Moore reconstruit le personnage de la créature des marais en développant toute la cosmogonie complexe du Green et interroge le rapport de l’homme à la nature. Puis Neil Gaiman, avec Black Orchid, prolonge les questionnements sur l’identité avec le personnage de femme-plante. Sous la plume de Jaime Delano, John Constantine rejoint une communauté d’écologistes et traverse le Royaume Uni en leur compagnie (Hellblazer #14).

Ainsi, au même titre que ses homologues scénaristes, Grant Morrison s’inscrit dans un propos de revendication écologique plutôt en avance dans son temps éditorial (au regard des publications de comics de l’époque).  Mais il s’intègre également dans une démarche contemporaine des années 80 : celle de l’éco-punk. Si l’on se réfère à l’histoire du punk, il s’agit d’un mouvement social beaucoup plus large et éminamement plus complexe que la simple caricature de groupes de musicos cradingues à crêtes et à épingles à nourrice à laquelle on tente de les réduire. En effet, le mouvement punk s’avère très en phase avec les questions environnementales. Celui-ci se radicalise même pour éviter toute tentative de récupération et entre alors en lutte avec le capitalisme et les menaces technico-industrielles. Des groupes comme Crass se posent rapidement dans la résistance antinucléaire et la défense de la cause animale. Quant au groupe Divide And Conquer, il s’oppose au diktat de la voiture et chante leur amour du vélo. Dès la fin des années 70, des communautés punk expérimentent le véganisme et la permaculture.

A la lecture d’Animal Man, il est évident de constater que Grant Morrison a été sensible à cette succession de luttes et partage les mêmes convictions. Son discours est néanmoins assez nuancé notamment dans certains épisodes, lorsque Buddy Baker est amené à tuer un chasseur de dauphins (Animal Man #15) ou lorsqu’avec des activistes, il provoque de graves blessures à trois pompiers (Animal Man #17). Grant Morrison n’hésite pas alors à s’interroger sur les limites de l’action écologique/politique pacifique.

Animal Man est à la fois loufoque et inégal dans sa narration dans le premier volume, mais terriblement avant-gardiste dans son approche globale. A travers ces deux volumes en français, compilant les vingt-six premiers numéros, on voit émerger les thèmes de ce que deviendra ensuite la reprise de Doom Patrol, puis plus tard la création de la turbulente série The Invisibles. La poursuite et surtout fin du second volume sont magistrales, à la fois réflexives et pleines d’émotion. Grant Morrison prend le temps de recoller et clôturer les trames de son récit. Sur les derniers épisodes, on prend la totale mesure de ses intentions narratives et je me suis senti complément immergé dans la conclusion.


Références

Animal Man – Grant Morrison
édité en deux volumes, par Urban Comics


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